Radio Cyclo Ebrius

>>>>> Radio Cyclo Ebrius <<<<<

Cuvées en cave

Dégustation à l'aveugle

Un cidre lactique




























Le Tour 1947 est tout d'abord celui de la reprise, et Jacques Goddet, fondateur depuis 1946 du tout nouveau journal L'Equipe, a été confronté à maintes difficultés afin de remettre sur pied la kermesse de juillet. Après sept années d'errances planétaires, l'engouement du public pour l'épreuve chère à Henri Desgrange est pourtant énorme et dépasse l'entendement. La frustration ressentie par celui-ci rejaillie alors sur toutes les classes de la société. En outre l'absence du duo transalpin Fausto Coppi et Gino Bartali conforte le Roi René dans un rôle de favori légitime. René Vietto, dauphin du Belge Sylvère Maes lors de la dernière édition en 1939 n'a toujours pas vaincu le signe indien. Le Bon Samaritain de Tonin le Sage lors de la Grande Boucle 1934 a une nouvelle fois échoué cinq ans plus tard alors que, vêtu de jaune, il fut victime d'une amère défaillance en son royaume de prédilection à savoir la montagne. Cette fois pourtant, le Roi René, dont le regretté Louis Nucera fut un tifoso acharné, possède toutes les cartes en mains pour enfin réaliser ce que tout un peuple attend depuis des années.
Au soir de la 14ème étape, Carcassonne-Luchon, remportée en solitaire par Albert Bourlon, René Vietto s'est idéalement positionné en tête de la course et trône tel un monarque ceint de son bel habit de lumière. Si son avance n'est pas rédhibitoire sur ses proches poursuivants Camellini, Brambilla ou Ronconi, la colonie transalpine, voire le tricolore et équipier du natif de Rocheville Fachleitner, puisqu'elle avoisine les deux à six minutes, en revanche le fossé creusé par l'Azuréen sur son compatriote Jean Robic et plus encore sur le Belge Impanis semble apparemment du domaine de l'irréversible puisque celui-ci atteint la bagatelle de vingt minutes pour l'un, et culmine à trente minutes en défaveur du représentant d'Outre-Quiévrain.
Luchon-Pau, 15ème étape. Le peloton est concentré sur le "carré magique" pyrénéen. Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque, dans l'ordre, dernières grosses difficultés de ce Tour 47, sont les derniers remparts au triomphe attendu du Roi René. C'est alors que résonnent aux tympans de certains suiveurs les vociférations abracadabrantesques d'un coureur de l'Ouest, maillot blanc et casque vissé sur la tête, à l'aurore de l'épreuve. Fulminant de ne pas avoir été enrôlé au sein de l'équipe de France, notre Biquet avait alors prévenu équipiers et adversaires ("je les aurai tous !") sur un ton laissant peu de place à l'équivoque. Conscient de l'ampleur de la tâche, le Breton attaque d'entrée. Insolent de panache il entraîne dans son sillage le prompt Brambilla, alors second au général. Nous sommes dans Peyresourde. Loin de se formaliser de la présence du suceur de roue Italien, Biquet se déhanche, place une énième attaque et décramponne, pour le compte cette fois, le besogneux Brambilla. Jean Robic passe trois minutes avant René Vietto au sommet. Pas de quoi affoler toutefois un clan tricolore hilare. Pourtant, les affaires du Cannois ne sont pas des plus brillantes au sommet du Tourmalet puisqu'il accuse maintenant un retard de près de treize minutes sur l'Express du Morbihan. A noter qu'à ce moment précis de la course, Brambilla, à huit minutes du Breton au sommet du Tourmalet, est virtuellement Maillot Jaune. Biquet est irrésistible, il vole le petit chose. Il y a du Blaireau dans Biquet. Le Roi René, hissé sans vergogne au sommet du Soulor par une marée humaine entièrement acquise à sa cause, ne rend nullement les armes et se bat avec sa machine comme un beau diable. Poussé dans ses derniers retranchements, au bord de l'asphyxie, Vietto jette toutes ses dernières forces dans la bataille. Il rejoint successivement Ronconi, Lazaridès puis au bout du rouleau, ivre de fatigue, il parvient néanmoins à recoller au duo Brambilla-Fachleitner. Le groupe de cinq, reconstitué, se lance alors à la poursuite de Biquet. En pure perte, bien évidemment, puisque notre Breton coupera la ligne plus de dix minutes avant le petit groupe de poursuivants dont le sprint pour la deuxième place reviendra à... René Vietto, l'indomptable !
Au soir de cette 15ème étape, Jean Robic n'est plus, si l'on ose dire, qu'à neuf minutes du Cannois. Reste le contre-le-montre de Vannes à Saint-Brieuc pour départager si besoin était les deux Français, mais lorsque l'on connaît les aptitudes de Vietto pour ce genre d'exercice, on ne loue plus guère les chances de Robic d'inverser la tendance. Lors de cette 19ème étape, il va se produire pourtant une chose invraisemblable, une situation ubuesque que seul le vélo en général et le Tour en particulier génèrent à torrent. René Vietto doit impérativement profiter de ce chrono pour creuser définitivement les écarts sur ses poursuivants. Bien en phase avec sa machine, il va s'enquérir auprès de Jean Leulliot des écarts lorsqu'il aperçoit sur le bas côté de la route un accident. Une moto s'est vautrée sur le macadam et le conducteur de celle-ci gît, inanimé et maculé de sang, dans le fossé. Le Roi René, blême comme un linceul, terminera les 139 bornes en roue libre, à plus de quatorze minutes de Raymond Impanis. A l'arrivée, il eut cette remarque bien dans la tradition du personnage. A quelqu'un qui s'inquiétait sur sa motivation à terminer le Tour, le Roi René lui retourna prestement tel un soufflet : "abandonner, qui parle d'abandonner, vous n'y pensez pas ? Un Vietto n'abandonne pas, il se retire !"
Alors, que s'est-il passé lors de ce chrono de légende ? Est-ce la vue de ce motocycliste ensanglanté sur le bord de la route ou bien, comme le suppose Louis Nucera dans la biographie du Roi René, serait-ce plutôt l'absorption d'une mixture (50 % de bière et 50 % de cidre) offerte gracieusement par un outragé en cours d'étape ? Finalement, comme le suggérera justement Pierre Chany, l'Histoire ne retiendra sans doute pas le fait comme l'un des éléments décisifs de l'affaire, pour autant qu'il y ait eu vraiment attentat.

Source ~Vélo101.com~  Michel Crepel